Les tests de QI sont à ce jour les seuls outils qui permettent de déterminer de manière méthodique et rationnelle un niveau d’intelligence. Ainsi, pour les psychologues, un surdon implique nécessairement un QI supérieur ou égal à 130 points. Mais ces tests n’ont-ils pas leurs limites ? Quantifier une activité cérébrale est-il possible ? Et surtout, l’intelligence comme le haut-potentiel ne sont-ils pas à envisager autrement ?
Il est établi que les tests comme le WAIS (Wechsler Adult Intelligent Scale) ou sa version pour enfants de plus de 6 ans, le WISC (Wechsler Intelligent Scale For Children) et qui recourent à l’échelle de Wechsler sont ce que nous avons de mieux pour évaluer de manière chiffrée des capacités cognitives. Ces tests commencent toutefois à se faire vieux, leurs bases datant des années 1930-40. S’ils ont évolué, la grille de lecture qu’ils offrent semble même comporter quelques limites. On évalue en effet dans le cadre de ce test des capacités verbales et logiques, selon lesquelles les résultats vont ranger les personnes dans un contingent de la population. Et pour la majorité des psychologues, seul un score de plus de 130 à un test de QI permet d’établir un surdon…
- Mais qu’est-ce qu’être intelligent ? Est-ce avoir beaucoup de connaissances ? Être capable de comprendre ? De s’adapter ? De réussir ? La notion même d’intelligence n’est-elle pas socialement normée ? Et sa définition finalement assez relative ou subjective ?!
- Etre intelligent est-il une question de score ? Est-on nécessairement « très » ou « plus » intelligent au-delà de 130 de QI ? Et si on a 129 ? Et 131 ? Et 125 ? Rappelons que le score est étalonné par rapport à une moyenne de la population, et que la fraction des 2,3 % a elle-même été déterminée de manière arbitraire… (il se murmure que le chiffre a été posé selon la proportion d’officiers que compte une armée. Pour un test qui date des années 30-40, l’hypothèse est à prendre en considération…)
- Et surtout, l’intelligence est-elle juste question de capacités logiques, linguistiques, de vitesse de traitement et de mémorisation ? ? D’emblée, les tests envisagent donc l’intelligence que par un bout de la lorgnette…
Deux autres problématiques apparaissent par conséquent :
- Que penser d’un QI hétérogène, qui offre une trop grande disparité entre les différents indices, avec la mention « ne permet pas de poser un indice global », phrase qui déboussole tous ceux qui y ont été confrontés (et qui fait débat entre les psychologues…). Surtout que tout porte à croire que les QI hétérogènes (ou « complexes », selon la terminologie de Revol / Nussbaum et du centre Psyrène de Lyon) sont plus en difficultés que les personnes à QI homogène (« laminaires »)… Je l’évoque à ma façon dans le 3ème article de cette série.
- Enfin, si être à haut-potentiel implique un fonctionnement neurologique différent, ce fonctionnement ne se déclenche pas tout d’un coup à partir du moment où le test a un résultat supérieur à 130 !
Intelligences multiples
Dans les années 80, le psychologue américain Howard Gardner a proposé sa théorie des intelligences multiples. Il avait identifié 8 types d’intelligence (ou 9 selon les versions) :
- L’intelligence Logico-Mathématique
- L’intelligence Verbo-Linguistique
- L’intelligence Spatiale
- L’intelligence Intra-personnelle
- L’intelligence Interpersonnelle
- L’intelligence Kinesthésique / corporelle
- L’intelligence Musicale/Rythmique
- L’intelligence Naturaliste
- L’intelligence Existentielle (selon les versions)
Il serait reproché à ce modèle de ne pas être scientifiquement établi… N’empêche. Nous connaissons tous des gens qui ont plus ou moins le sens du rythme (dans la musique, la danse), qui aiment plus ou moins le contact avec la nature, qui sont plus ou moins à l’aise avec les autres, ont plus ou moins de facilités à évoluer dans l’espace (la conduite automobile est un bon révélateur) ou avec leur corps (dans une pratique sportive par ex). Certains excellent parfois dans un domaine, pas dans l’autre. Bref, il ne s’agit pas de dire que ce modèle est meilleur, mais qu’il en existe au moins un autre. Qui a l’avantage d’être plus complet…
Car pendant ce temps, les tests de QI ne prennent en compte que 2 à 3 de ces aspects : l’intelligence logico-mathématique et verbo-linguistique (et un peu l’intelligence spatiale dans certains exercices), en parallèle de la mémoire de travail et de la vitesse de traitement, qui sont des capacités purement « neurologiques » dans le sens où il s’agit plus d’évaluer une efficacité de traitement de l’information. Autrement dit, on teste la mémoire vive et le processeur de « l’ordinateur neurophile qui nous sert de cerveau« , pour paraphraser le grand Léo…
Pourquoi ? Peut-être parce qu’il n’est pas possible de chiffrer et évaluer des qualités relationnelles ou des capacités émotionnelles ? Pas plus qu’une sensibilité à la musique, à la nature ou aux animaux ? A bien y regarder, en ne cherchant à évaluer que les deux aspects mathématiques et linguistiques, on tombe déjà dans un biais. On restreint d’emblée la notion d’intelligence à deux facettes certes importantes, mais qui ne sont que deux aptitudes cérébrales parmi d’autres. Une forme d’intelligence froide, mécanique, qui ne mettrait pas en jeu des facettes plus émotionnelles de la vie !
Autrement dit, avoir une faible intelligence mathématique n’empêche pas de devenir un brillant concertiste ou un ardant écologiste. De même, un génie des maths pourra très bien être un personnage asocial, ce qui nuira potentiellement à sa carrière.
Notez que les tests suscités n’intègrent pas certaines capacités que sont, par exemple, l’imagination, la créativité, les talents artistiques et, par-dessus tout, les qualités de cœur. D’ailleurs, en la matière, avoir un QI surdimensionné ne met pas à l’abri d’être un « gros c*n » ou un manipulateur prêt à utiliser cette intelligence pour assouvir une soif de pouvoir névrotique ! (Et ils sont nombreux…)
Perspectives
La théorie des intelligences multiples a au moins le mérite de reconsidérer l’intelligence dans son ensemble. Elle permet de considérer que des personnes ayant un score « moyen » dans les domaines logiques ou verbaux ne seront pas nécessairement moins intelligents, mais leurs facilités se trouveront peut-être dans des domaines qui ne sont pas évalués. D’ailleurs, notez comment, au lycée général, la question de l’orientation se résume souvent à « scientifique ou littéraire ». Une personne ne se tournera vers d’autres domaines que si sa scolarité s’est avérée moyenne, et qu’un talent a été détecté par un professeur d’art (musique, danse, théâtre…), un éducateur de club sportif, un responsable d’association, ou un ami de la famille digne de confiance ! Et je ne parle pas de ceux qui ont besoin de travailler de leurs mains et qui, parfois, prennent cette voie passée la crise de la quarantaine !
On lit aussi que la théorie des intelligences multiples aurait (malgré elle ?) ouvert la question d’une hiérarchie entre les intelligences. Et selon quels critères aurait-on établi ce classement ? Les besoins de la société ? La rentabilité ? Le bon vouloir du pouvoir politique en place dans le pays ? Imagine-t-on un instant l’intelligence logico-mathématique passer derrière l’intelligence musicale ou l’intelligence naturelle ? Cela signifierait-il potentiellement d’empêcher des hommes et des femmes de vivre leur vie, leurs talents, au nom des critères valorisés par la société ? Et n’est-ce pas déjà ce qui se produit pour partie ? Autrement dit, peut-on envisager « l’intelligence » autrement que sous l’angle de son adéquation avec le monde que nous connaissons, en particulier les logiques marchandes ? Ou militaire, pour replacer le tout dans une perspective évoquée plus haut ? Serait « intelligent » ce ou celui qui est « rentable » ?! Ou qui marche dans le sens du monde tel qu’il est ? Cela pose question…
Mais le haut-potentiel, parce qu’il pousse ses réflexions et interroge très volontiers le sens, celui de la vie, du monde, la société, ses règles, a de grandes chances de penser un jour en décalage, « en marge » ou de s’inscrire en faux, parfois malgré lui, sans savoir pourquoi, à son corps défendant…
Alors, il ne s’agit pas de s’en prendre aux tests de QI, même s’ils auraient tout à gagner à évoluer encore. Ils donnent des indications utiles et parfois importantes, et restent l’un des indicateurs les plus rationnels à ce jour. Mais autant qu’un radar sur le bord de la route qui va vous flasher à 130 km/h, il ne certifie pas que votre voiture « fonctionne bien ». C’est très probable, c’était assurément le cas au moment du passage devant le radar, mais ça ne nous donne qu’une information, et pas de renseignements sur – disons – la qualité de la tenue de route, pourtant importante pour la sécurité et la vie de vos passagers.