Il arrive que lors d’un travail sur soi, on se trouve confronté à des blocages récurrents. Malgré notre bonne volonté, l’énergie (et l’argent) déployés, quelque chose nous empêche d’avancer. A cela, plusieurs raisons possibles. Décryptage des principales dont une me semble la plus terrible et la non-moins récurrente, l’impuissance apprise (ou acquise).
C’est probablement l’un des grands écueils de tout travail sur soi, qui nuit souvent aux résultats comme à la réputation du professionnel. Le plus souvent, la crise ou trop d’années de souffrance nous conduisent à l’idée que quelque chose ne tourne pas rond. On se prend en main, on décide de consulter, de se faire accompagner, on est prêt à y mettre du sien pour « changer ». Et ce premier pas est déjà énorme. Mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur. Pourtant, on s’applique, on est à l’heure aux séances, le thérapeute semble compétent, bienveillant. Mais non, il y a comme un bug dans la matrice…
Une question d’instinct…
La plus courante est la suivante : notre cerveau est, par nature et par instinct, « conservateur », réfractaire au changement, attaché à ce qu’il connait déjà. S’il aime parfois la nouveauté (mais avec parcimonie, comme on sort de ses habitudes pour mieux les retrouver), il demeure la majeure partie du temps attaché à ce qui lui est habituel et stable. Nous apprécions tous la tranquillité de ne pas devoir composer continuellement avec des éléments que nous ne maitrisons pas ou ne connaissons pas. Auquel cas, notre vie serait très différente, plus enthousiasmante peut-être parfois, mais aussi plus stressante…
Notre instinct de conservation nous amène ainsi à préférer des comportements, des façons de faire et de voir que nous avons intégrées. La vie est ainsi faite que nous nous sommes construits suivant des règles qui nous ont été données, qui n’étaient pas toujours les nôtres mais que nous avons faites nôtres soit parce qu’elles n’étaient pas négociables (interdits parentaux, tabous…), ou parce qu’elles nous semblaient les plus adaptées. Nous sommes devenus l’addition de nos choix, Ils n’ont pas tous été nécessairement mauvais, et d’ailleurs, il ne s’agit pas ici de les juger ! Il convient juste de les interroger et de se donner la permission de les envisager autrement ne serait-ce qu’un instant, pour s’assurer qu’ils sont bien les nôtres et les plus adaptés ! Nous sommes tant attachés à nos certitudes et nos conditionnements que le simple fait de changer de perspective pour avoir ne serait-ce qu’un regard différent ou nouveau peut nous sembler déjà fou !
Lorsqu’on questionne le sens qu’on a donné à sa vie jusqu’alors, en suivant un chemin qui nous a paru raisonnable et rationnel, on risque de déconstruire des certitudes. Le fait d’aller interroger son instinct, ses sensations et ses émotions peut d’ailleurs venir s’opposer à une certaine pensée « logique », qui nous sécurise parce qu’elle est connue, solide, explicable. Sauf que nous ne sommes pas faits QUE de rationalité. Et il s’agit ici d’aller communiquer avec cette part instinctive de notre cerveau. De sortir du cortex et de s’affranchir des conditionnements. C’est encore un défi qui peut nécessiter d’être (un peu) tenu par la main.
Avec le temps, une autre explication me semble plus juste. Elle n’en est pas moins gênante car, chez les personnes qui ont parfois le plus souffert, elle est une autre raison pour laquelle le changement ne parvient pas à se mettre en place. Et même, il semble impossible pour le patient comme pour le professionnel. C’est la notion d’impuissance apprise (ou acquise) que nous avons tous rencontrée un jour…
Un éléphant, ça trompe…
Pour domestiquer un éléphant, on utilise la technique suivante : dès son plus jeune âge, l’éléphanteau est attaché à un arbre suffisamment grand, sa patte étant prise dans un arceau qui est lui-même relié à l’arbre par une chaîne. Évidemment, l’animal cherche à s’éloigner de son point d’attache, mais en vain. L’arbre est plus gros et résiste, l’animal s’épuise, il finit par renoncer.
Suite à quoi, l’éléphant grandi. Et là, vous pouvez penser qu’il va atteindre une force suffisante pour briser la chaîne ou déraciner l’arbre. C’était sans compter sur l’impuissance apprise. L’éléphant ne bronche plus. Par habitude, il a accepté son impuissance et l’a intégré comme normale. Comme une forme de soumission. Ironie de la chose, il n’est même plus nécessaire d’attacher l’éléphant à l’arbre. Le simple fait de mettre sa jambe dans son arceau vient lui rappeler par une simple stimulation au niveau de sa patte (en PNL, on parlerait d’ « ancrage »), sa condition acquise comme habituelle, pour ne pas dire normale.
Dans les années 40, le fameux cirque Barnum fut victime d’un incendie. Là où les pachydermes auraient dû fuir les flammes en courant, ils n’ont pas bougé et ont fini gravement brûlés. Alors que leur vie était en jeu ! Voilà qui est fort intriguant sur la capacité de notre cerveau à jouer contre nous, alors que sa première mission est d’être le gardien de notre survie ! Pour les éléphants, la domestication était toute leur vie. Elle leur garantissait un foyer, leur nourriture, des soins. Impossible de rompre avec le connu, l’habituel, l’établi ! Quitte à le payer du prix de leur vie, dont ils pensaient qu’elle était et devait être ainsi ! Ce « bénéfice secondaire » était trop important pour eux.
Une expérience de chien…
Mise au jour par le psychologue Martin Seligmann en 1975, l’impuissance apprise a fait l’objet d’une étude réalisée sur des pauvres toutous (ce qui a valu quelques soucis au chercheur a posteriori, que les pauvres cobayes soient remerciés pour leur contribution à la science…). Bref résumé de l’expérience : deux groupes de chiens reçoivent des chocs électriques. Tandis que le premier a la possibilité de faire cesser les impulsions en appuyant sur un interrupteur, le second groupe n’a pas accès à cette seule solution.
Résultat : tandis que les premiers s’en sont remis rapidement, les chiens du second groupe ont intégré leur impuissance à changer la situation. Mais surtout, lorsqu’on a ouvert leur enclos, ils n’ont pas fui, comme les éléphants face aux flammes ! Ils restaient tétanisés, attendant la prochaine décharge, et il a fallu les pousser pour les sortir de l’enclos, comme si cette souffrance était devenue une nouvelle nature ! Ici, ce n’est pas tant le « bénéfice secondaire » de la situation qui les maintenait sous la torture, contrairement aux éléphants, mais qu’ils n’aient pas été en mesure de solutionner la situation !
Cette expérience a conduit à la thèse suivante : tout être ne pouvant avoir de maîtrise sur les facteurs extérieurs qui agissent sur sa vie se résigne, se soumet jusqu’à abandonner l’idée de solutionner son problème. Il adopte ainsi des attitudes similaires à une dépression chronique et a nécessairement besoin d’aide pour retrouver une vie « normale ».
Voilà qui offre une autre façon de considérer la dépression. Si celle-ci s’explique par un déséquilibre chimique au niveau du cerveau, l’addition des traumas, la sensation que la situation est inextricable et l’acquisition de l’impuissance pourraient bien évidemment créer ce déséquilibre, tant la pensée peut jouer sur le corps. Une vision qui n’est pas sans rappeler celle du décodage biologique, avec la volonté pour l’animal de se tapir/hiberner, plutôt que d’adopter l’une des solutions les plus courantes face à un stress, à savoir le combat ou la fuite.
Voilà donc une piste à considérer quand on a soi-même été confronté à trop d’échecs et d’impuissance, qu’on sent bien que quelque chose cloche mais qu’on ne trouve pas la clé. Et il serait compréhensible que le thérapeute « intervienne », alors que ce n’est pas nécessairement dans sa culture ou son approche, comme il a fallu pousser les chiens du second groupe pour les amener à fuir leur maltraitance !
Devenir « impuissant » en 5 minutes
Cette petite vidéo vient illustrer comment il est possible d’induire cette impuissance à une classe d’écoliers en à peine 5 minutes. La professeure sépare sa classe en deux et donne à chaque groupe une série d’anagrammes à résoudre sur une feuille. Tandis que le premier groupe s’en sort sans encombre (leurs devinettes sont faciles), le second peine face aux deux premières questions. Mais les étudiants de ce groupe ne savent pas que leurs anagrammes sont insolubles ! Et lorsqu’il s’agit de résoudre la troisième, un peu plus subtile, les élèves du groupe privilégié trouvent encore la réponse, tandis que ceux du second échouent une troisième fois. Sauf que cette fois, les anagrammes étaient les mêmes ! Conséquence funeste de l’impuissance induite ici en seulement quelques instants ! Imaginez alors qu’un écolier ait vécu cette situation à répétition durant toute sa scolarité et les conséquences qui peuvent en découler !